Monsieur le Conseiller fédéral,
Madame la Conseillère nationale,
Monsieur l’ancien Conseiller fédéral,
Messieurs les Anciens Secrétaires d’État à la formation, la recherche et l’innovation,
Monsieur le Président du CEPF, chers membres et anciens membres du CEPF,
Madame et Monsieur les anciens Présidents du CEPF,
Madame la Présidente du Conseil suisse de la science,
Monsieur le Président du Conseil de la recherche du Fonds National Suisse,
Monsieur le Conseiller d’État,
Madame la Syndique, Monsieur le Syndic, et Mesdames et Messieurs les représentant.es des autorités communales,
Madame la Présidente de la chambre des hautes écoles universitaires et Rectrice de l’Université de Bâle,
Madame la Présidente du Conseil de l’Université de la Suisse italienne,
Monsieur le Président du Karlsruher Institut für Technologie,
Mesdames et Messieurs les Rectrices et Recteurs ainsi que les Représentant.es des Universités et des Hautes Écoles,
Madame la Secrétaire Générale de Swissuniversities,
Monsieur le Président émérite de l’EPFL,
Monsieur le Président de la Fondation EPFL+,
Madame la Présidente désignée de l’EPFL, chère Anna, toutes mes félicitations pour cette nomination! Mesdames et Messieurs ami.es de l’EPFL.
Chers parents et chères Familles,
Chères diplômées et chers diplômés,
Bravo !
Je vais faire un exposé en 4 actes :
- Tout d’abord, nous célébrons votre succès
- Ensuite, je parlerai « Du Bon Usage d’une École Polytechnique »
- Puis je regarderai vers le futur, en particulier à propos de l’intelligence artificielle
- Et finalement, je rappellerai les défis qui nous attendent.
1- Célébrons votre succès et ceux qui vous ont aidés, tout en rappelant ce qui l’a permis
Commençons par une séquence ‘’fun’’
Le 10 juin de cette année, Timothé Mumenthaler, étudiant en microtechnique, gagne la course des 200m aux Championnats d’Europe à Rome. À l’arrivée, un journaliste lui demande : «Et votre prochain défi ?» Timothé répond : «réussir mes examens à l’EPFL !»
Vous n’êtes pas tous champions d’Europe du 200m, mais vous êtes championnes et champions de l’EPFL, car aujourd’hui vous obtenez votre diplôme, Bravo !
Votre diplôme, votre réussite et votre futur comme alumni de notre école sont la fierté de nous tous, parents, collaborateurs et professeurs. J’en profite pour remercier toutes celles et tous ceux qui ont contribué à votre succès, à commencer par vos parents, proches et amis.
Concernant votre diplôme, je citerai Machiavel :
«Ce n’est pas le titre qui honore la personne, mais la personne qui honore le titre», Souvenez-vous de cette maxime dans votre future carrière.
Je me permets aussi de rappeler qu’en Suisse, c’est la société qui investit dans une éducation de qualité pour tous, un investissement pour le futur de notre pays. Ce modèle bien européen a fait ses preuves, et il est à l’inverse du système anglo-saxon où l’étudiant s’endette pour se former.
Nous, au contraire, nous pensons que les étudiants sont une source de talent, et non de revenu.
Message #1: if it ain’t broken, don’t fix it
D’où mon premier message : Comme disent aussi les Anglo-saxons que certains prennent en exemple: “if it ain’t broken, don’t fix it. ”
Le «système Suisse», c’est-à-dire une éducation publique abordable et une formation de qualité, fonctionne, vous en êtes la preuve vivante. Alumni, aidez-nous à le maintenir, à l’améliorer, merci!
2- Du bon usage d’une école polytechnique
Passons au deuxième acte, dans lequel j’aimerais vous parler « Du Bon Usage d’une École Polytechnique ».
Je m’empresse d’ajouter «fédérale» et «suisse» afin de souligner la complémentarité des Écoles polytechniques avec les universités et les HES. Une complémentarité pleinement implantée sur la place lausannoise.
Les écoles polytechniques ou « institutes of technology » sont un fer de lance pour le pays, et ceci depuis la révolution industrielle au milieu du 19e siècle, un tournant que la Suisse a réussi grâce à la création du «Poly» à Zürich et de l’«École spéciale de Lausanne», notre ancêtre, dans les années 1850.
Et la révolution industrielle se poursuit, car la technologie prend une place de plus en plus centrale dans notre civilisation, pour le meilleur ou pour le pire, à vous alumni de vous assurer que ce soit pour le meilleur.
La mission des Écoles polytechniques, c’est de répondre aux défis de la société, en développant le savoir nécessaire par la recherche, en le transmettant par l’enseignement, en le fructifiant par le transfert de technologie, et finalement en le donnant à la société qui décidera de la gouvernance des sciences et des technologies.
Pour ceci, les bases scientifiques sont fondamentales, et comme vous le savez, la science est une maîtresse exigeante.
Rappelons que le processus scientifique n’a de seul but que de réduire l’incertitude. La vérité dogmatique est un mirage, et les “fake news” un poison pour la société.
Le savoir que nous générons est le bien commun de l’humanité, accessible à tous, et dont les générations futures feront, nous l’espérons, bon usage.
La technologie, elle, est un agent double, car elle peut être utilisée pour faire le bien comme pour faire le mal, pour construire ou détruire, soigner ou tuer. Et comme exemple : les technologies à double usage, les monopoles émergents ou l’augmentation des inégalités liées à l’accès aux technologies de pointe.
Il est de notre responsabilté, comme acteurs de la science et de la technologie, de veiller au grain. Car, comme on le dit parfois, si le progrès est aveugle, il a besoin d’être guidé !
Les écoles polytechniques sont aussi responsables de garder la Suisse dans le peloton de tête des nations actrices de la science et de la technologie. Et les “rankings ”, qu’on adore détester, le montrent bien.
Mais au-delà des classements, nos écoles aident les citoyens, les entreprises et les politiciens à naviguer, tout en évitant les écueils politico-économiques des révolutions technologiques. En effet, nous ne pouvons pas juste être des consommateurs de technologie, nous devons aider à les façonner afin qu’elles incarnent les valeurs de notre société.
Dans ce sens, je donne quelques exemples d’initiatives stratégiques des EPF : la transformation énergétique zéro carbone, la médecine de précision, la cybersécurité, la confiance numérique, la science des données ou encore l’intelligence artificielle. Je note que toutes les initiatives stratégiques sont faites en commun avec notre consœur de Zürich.
Ceci me permet de remercier ici son président, Joël Mesot, pour cette précieuse collaboration.
Message #2: Yes, we deliver…
Mon second message est simple : les écoles polytechniques jouent un rôle moteur pour notre pays.
Eh oui, elles représentent un investissement substantiel, mais croyez-moi, il est rentable :
– Par le talent : vous, ici dans la salle, notre fierté !
– Par le leadership scientifique et technologique sur des sujets phares.
– Par l’innovation, qui est le moteur de l’économie.
“Yes, we can, and we deliver!”
3- Où allons-nous ? (LLM, IA, and social values)
C’est mon 8e et dernier discours de Magistrale, je me permets donc de parler de l’avenir, et l’intelligence artificielle (ou IA) en fait partie.
Nous pourrions poser la question à un des nombreux «chatbots» basés sur les grands modèles de langage, les fameux «LLM», qui possèdent des propriétés hallucinantes.
Ils prédiraient sûrement l’inéluctable changement climatique, et qui sait, la fin de la civilisation, tout en annonçant que l’IA remplacera l’homme et gérera le futur de l’humanité…
Oui, car l’IA se base sur un concentré de données, glanées ou volées par les géants du Net, et ironie de cette société hyperconnectée, mais peu régulée, nous leur offrons nos données afin qu’ils nous les revendent… cherchez l’erreur…
À l’IA, je préfère la méthode socratique du débat d’idée entre êtres humains, et la méthode cartésienne qui permet de chercher, vérifier et comprendre la vérité.
Mais ne nous trompons point : comme l’invention de l’écriture, des nombres, de l’imprimerie, de la méthode expérimentale, de l’électricité, de l’ordinateur et du calcul scientifique, l’IA va profondément modifier la manière dont nous travaillons, cherchons, innovons et vivons ensemble.
Clairement, l’IA recèle un énorme potentiel pour la recherche et l’innovation. Et sans doute aussi pour la société, mais sans gouvernance adéquate, elle en devient son talon d’Achille.
Car l’IA doit rester au service de l’homme :
L’humanité est bien plus qu’une collection de données conduisant à des corrélations aveugles. C’est à la société de décider des valeurs que nous voulons promouvoir, et ceci n’est probablement pas la fameuse “shareholder value” ou « valeur actionnariale » des grands groupes aux ambitions monopolistiques.
Message #3: L’IA pour le bien commun
D’où mon troisième message, à vous chères et chers diplômés. Comme scientifiques et ingénieurs, vous comprenez le potentiel énorme, mais aussi les risques de l’IA. Souvenez-vous, le progrès est aveugle et la technologie est borgne : Elle voit les opportunités, mais elle ignore les risques.
Soyez donc vigilants, participez aux débats nécessaires afin que la société ne se laisse pas imposer une IA obsédée par les profits, mais développons une IA qui cherche à améliorer le bien commun.
4- Quelques défis qui nous guettent
Pour finir, revenons aux défis d’aujourd’hui, ici et maintenant.
Les années récentes n’ont pas été de tout repos, et je n’escamoterai pas les tensions sur le campus liées aux événements géopolitiques, en particulier au Moyen-Orient en Israël, dans les territoires palestiniens occupés, et au Liban.
Tout d’abord, je salue l’engagement des étudiants dans les débats de société, car nous ne voulons pas former ce que les germanophones appellent des «Fachidioten».
Cet engagement estudiantin sur les campus du monde entier a ouvert une discussion nécessaire sur le rôle de l’université dans le débat politique, et sur la neutralité d’une institution académique. Si l’institution adopte une position arrêtée, elle étouffe le dialogue. Mais je dois reconnaître que l’exercice est une marche sur le fil du rasoir.
Oui, l’université est l’endroit où règne le pouvoir des idées, et non pas l’idée du pouvoir. Mais l’université doit pouvoir fonctionner pour que le débat d’idées puisse effectivement avoir lieu.
En ayant participé aux discussions, négociations, et “town hall” sur le sujet, je dois avouer que plus d’une fois, je me suis dit : Ma liberté d’expression s’arrête là où commence celle de l’autre, et trouver cette frontière est nécessaire au maintien d’un dialogue ouvert, civilisé et respectueux.
Puis de penser aux trois filtres de Socrate, à appliquer chaque fois que l’on prononce une affirmation :
- Est-ce vrai ?
- Est-ce utile ?
- Est-ce bienveillant ?
Le défi du débat respectueux et équilibré restera sur tous les sujets qui polarisent et ils ne manquent pas.
Je rappelle que vos prédécesseurs, étudiants de l’EPFL ont été pionniers en introduisant le « Serment d’Archimède » il y a plus de trente ans.
Un serment de comportement éthique pour ingénieurs et qui anime encore aujourd’hui une discussion sur les valeurs de notre institution. Je salue nos étudiants qui perpétuent cette tradition.
En parallèle aux débats philosophiques, nous avons des discussions plus terre à terre et quantitatives, je pourrais parler de la restriction du nombre d’étudiantes et d’étudiants, du fantôme d’un numerus clausus, des taxes d’études, des relations de recherche avec l’Union européenne ou encore du budget des Écoles Polytechniques Fédérales.
Ici n’est pas le lieu ni le moment d’ouvrir ces débats, car le jour est à la fête, votre fête.
Message #4: Veillons au grain, le futur est dans nos mains
Je finirai par un message pour la Suisse. Ce pays qui a su par le passé investir judicieusement dans l’éducation, la recherche et l’innovation.
Un pays qui n’investit pas dans sa jeunesse n’investit pas dans son avenir.
Et un pays qui n’investit pas dans son avenir est un pays qui s’essouffle …
Et je citerai le politicien Abraham Lincoln : « Si vous pensez que l’éducation coûte cher, essayez l’ignorance ! »
5- Mot de la fin
Il est temps de conclure : Vous avez beaucoup travaillé pour réussir, mais vous avez aussi eu beaucoup de chance : partagez cette chance, le monde est avare de générosité : soyez magnanime.
Faites que grâce à vous, le monde soit un peu meilleur qu’avant vous. Si nous tous, nous nous attelons à cette tâche, le monde ira mieux, c’est un algorithme très simple.
Mais la vie n’est pas un algorithme ou un paquet de données : la vie, c’est aussi le réseau de collègues et d’amis que vous vous êtes faits en étudiant à l’EPFL.
Et souvenez-vous de la fameuse citation de Nelson Mandela:
“I never lose. Either I win, or I learn!”
« Je ne perds jamais, soit je gagne, soit j’apprends ! »
6- Remerciements
C’est le moment des remerciements, et de tirer ma révérence. C’est un honneur d’avoir servi l’institution, j’espère l’avoir servi avec honneur.
Je remercie notre ministre de tutelle, le Conseiller fédéral Guy Parmelin, pour sa présence et le soutien qu’il nous accorde. Merci également Monsieur Parmelin pour la patience que vous avez montrée à mon égard, comme vous le savez, le scientifique, c’est aussi un peu le fou du roi.
Comme toujours, ce sont les célèbres « petites mains » qui font le gros du travail : merci à toutes les personnes qui ont organisé et accompagné la Magistrale 2024.
Pour la musique, je remercie “Marta and her big band”.